Vies du CRAS : D’un local libertaire au centre autonome* à un centre d’archives d’histoire sociale :
A Toulouse décembre 1976, un collectif libertaire informel, issu de rencontres lors des luttes dans les années précédentes, souhaite trouver un local. Pour gérer ce lieu, la location paraissait inévitable et pour ce faire les statuts de l’association CRAS (Centre de Recherche et d’Animation Socio-culturelles) sont déposés en préfecture en décembre 1976 (1). Les objectifs sont les suivants : « Un local disponible pour les réunions avec du matériel divers (impression...) à la disposition de tous ceux qui se sentent concernés et qui le prennent en charge. Le collectif espère que de cette expérience pourront se créer des affinités, des projets et pratiques communes » (2). En même temps une boite postale est ouverte au centre ville à la poste principale rue Lafayette. Le local est loué en janvier ou février 1977, rue Henri Desbals. Faute de dynamique et de prise en charge collective, l’initiative sera de courte durée. Au bout de quelques temps le local est abandonné et les statuts rangés dans un tiroir. La Boîte Postale, par contre, continuera à être utilisée par d’anciens membres du local. Elle servira au cours des années qui vont suivre pour la réception du courrier du CRAS et du CRSAA (Centre de Recherches Sociales et Anti-Autoritaires) ou permettre à d’autres de publier et de correspondre (3). En 2015 La poste va modifier les numéros des Boites postales et mettre fin à la longue vie de la BP 492.
Début 1978 un collectif/groupe autonome libertaire, dont des anciens membres de l’ancien collectif CRAS, relance le projet d’un local avec un programme ambitieux ouvert aux diverses tendances autonomes locales et internationales. Pour la location sont extraits du tiroir les statuts du CRAS. La signification du sigle est modifiée en Centre de Recherche pour l’Alternative Sociale ainsi que l’objet de l’association. Le local est loué au 39/41 rue Saint-Rome. Ce collectif impliqué dans d’autres formes de lutte laissera la gestion du lieu à d’autres autonomes (des mouvementistes, des communistes en rupture de parti, des libertaires...). Ces derniers, fin 1978, pour des raisons pratiques et politiques, reprendront le bail du local au nom d’une nouvelle association « L’ADELE » (4). C’est sous ce nom que vivra ce lieu pendant quelques années, de 1978 à 1981.
En juin 1982 le CRSAA est créé par deux libertaires installé-e-s depuis quelques années à Toulouse. Les statuts sont officiellement déposés en préfecture. C’est un centre d’archives, comme le précise en 2013 Amapola :
« Je suis arrivée à Toulouse en 1980 suivie de près par Tonio. Nous avons officiellement créé le CRSAA seulement en 1982, mais cela faisait belle lurette qu’avec T. (et plus particulièrement lui) nous archivions dans les Pyrénées Orientales et que l’idée de créer un centre d’archives nous trottait dans la tête, dont le but était de "rester maître de notre Histoire". Nous avions déjà commencé à archiver sur Perpignan sur les luttes locales auxquelles nous participions ou celles dont nous étions témoins :
– Comité anti-répression (brochures et tracts contre la répression des militants de la RAF et de leur avocat Klaus Croissant, puis de militants anti-franquistes des groupes autonomes espagnols...)
– Mouvement Écologique Catalan (brochures et tracts sur la lutte contre les mines d’uranium à Ille-sur-Têt, mobilisation contre Malville en particulier et le nucléaire en général avec des séries de la "Gueule Ouverte"....)
– tracts, brochures, affiches et dossiers de presse sur la lutte du Bourdigou, des Poupées Bella...
On avait hérité aussi de bribes d’archives de l’association " l’escletxa" (écharde en catalan) animée par notre ami Bernard P.
A Toulouse, Tonio avait aussi récupéré des archives de la CNT rue Merly.
Et puis bien sûr en 1981 nous nous sommes mis à archiver sur la campagne "pour une amnistie sans précédent" ainsi que sur la lutte contre la centrale de Golfech, amassant tracts, affiches, "Géraniums enrichis" etc, etc. »
En décembre 1982, suite à une série d’attentats concernant la construction de la centrale nucléaire de Golfech et la découverte d’un garage contenant des explosifs volés en Ariège, la police judiciaire, en l’absence des locataires, investit une maison rue de la Jalousie à Toulouse. Cette maison abrite les archives du CRSAA. Une partie de l’habitation est mise à sac, trois machines à écrire, des documents administratifs et des archives de l’association sont emporté-e-s, la plupart concernant la lutte antinucléaire. Un des locataires est convoqué au commissariat central où il subit une garde à vue de 24h. Il est principalement interrogé sur l’opposition antinucléaire.
En 1984, l’instruction n’ayant rien donné, l’association tentera en vain de récupérer le matériel et les documents “volés”. Voir en annexe la lettre adressée au juge instructeur de Foix (Ariège).
Ces événements et la place que commence à prendre les archives incitent les membres de l’association à s’orienter vers la location d’un local. En 1984 un local est loué au nom du CRAS au 24 rue Compans à Toulouse.
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En mars 1986 pour des raisons administratives et pratiques liées à la conservation de la boite postale et à l’adresse postale, le CRSAA change de nom et dépose de nouveaux statuts (les anciens ayant été perdus) au nom du CRAS (Centre de Recherches sur l’Alternative Sociale) et l’objet de l’association est modifié (5).
La suite de l’historique (1986-20..) est à venir....
Notes :
* Quand nous utilisons le terme « autonome », nous faisons référence à des pratiques de groupes ou d’individu.e.s affilié.e.s à aucuns partis, syndicats ou organisations. Ces courants de pensées existent depuis des lustres. L’expression « groupes autonomes » sera elle utilisée dans l’après 68, bien avant l’apparition en 1976 de « l’Autonomie parisienne », elle même très influencée par l’autonomie italienne.
(1) Voir le Journal Officiel de janvier 1977.
(2) Voir le Journal parisien Liaison libertaire n°2 de mars 1977.
(3) Documents de 1982 et 1999
(4) L’ADELE (Association pour la Défense et l’Extension de la Liberté d’Expression).
Situé au 3ème étage, ce local composé de plusieurs pièces dont une grande salle a été ouvert à divers comités ou collectifs : Larzac, réfugiés politiques (basques, espagnols, italiens...), avortement, contraception masculine (ARDECOM), antifasciste, objecteurs à l’armée, coordination lycéenne, lycéens et travailleurs, antinucléaire, GLH (Groupe de Libération Homosexuel), COBOM (Comité pour le Boycott des Olympiades de Moscou ...). Ce local était aussi ouvert à du théâtre, des soirées musicales et notamment à l’une des célèbres radios libres de Toulouse, Barbe rouge. Ces radios libres ne seront légalisées qu’en 1981 après l’élection à la présidentielle du « socialiste » François Mitterrand. En 1981, entre les 2 tours des élections présidentielles, le local subit une action incendiaire revendiquée par « La Mangouste » un groupe présumé d’extrême droite ou barbouzard. Cet incendie, qui détruit une bonne partie des locaux, mettra fin à l’activité de l’ADELE dans ce local. Radio Barberouge s’installera ensuite dans un autre local, au 40, rue Alfred Duméril, où elle deviendra plus tard Canal sud.
(5) Voir le Journal Officiel d’avril 1986
Annexe :